Opinions

Journée des travailleurs : exclusion et indécence

by Roland Tsapi

Le thème énoncé par le gouvernement à l’occasion de la journée internationale des travailleurs  est riche d’un lexique valorisant pour les travailleurs. Mais les réalités sont toutes contraires à ces valeurs.

Le 1er mai 2023, le monde célèbre la journée internationale du travailleur ou encore journée internationale de lutte pour les droits des travailleurs, qui est une journée de lutte du mouvement ouvrier instaurée par la IIe Internationale en 1889, comme journée annuelle de grève pour la réduction du temps de travail à une journée de huit heures. Cette revendication fut satisfaite lors de l’entre-deux-guerres dans la plupart des pays européens industrialisés, et a été instaurée dans des pays africains à la faveur de la colonisation. La 137eme édition se célèbre au Cameroun sous le thème « Résilience et travail décent : agir ensemble au sein du monde du travail pour améliorer les conditions de vie et l’inclusion sociale ».

Exclusion

En s’arrêtant sur l’inclusion sociale dont mention est faite dans le thème rendu public par le ministre du Travail et de la sécurité sociale, le constat est qu’au-delà du discours, la réalité camerounaise est indéniable, le monde du travail est celui où l’exclusion se pratique le mieux, avec entre autres le phénomène d’éternisation au postes et aux fonctions, tous domaines confondus. Le paradoxe c’est que cela se pratique plus dans l’institution supposée trouver l’emploi au Camerounais, à savoir le Fonds national de l’emploi. Cette institution étatique a été créée en 1990, avec pour mission la promotion de l’emploi. Deux dirigeants se sont rapidement succédé à sa tête en moins d’un an, Louis Ambellie et Michel Kiriloff, et depuis le 5 juillet 1991 c’est Camille Moute à Bidias qui y trône. 32 ans de direction dans deux mois, le même au même poste. Là où la loi donne 9 ans maximum. Pendant 9 ans, un dirigeant d’entreprise publique peut utiliser sa posture pour intégrer autant de personnes dans la structure ou ailleurs (solidarité oblige), et laisser la place à une autre personne qui ne dérogerait pas à la tradition. La rotation au poste entraînerait de facto la multiplication des chances des Camerounais de diverses souches d’avoir de l’emploi, dans un Cameroun où les relations comptent plus que la compétence, dans un système où dans le monde de l’emploi, celui que l’on connaît est plus important que ce qu’on connaît. La durée en fonction d’une seule personne plombe ainsi ces possibilités, privant de nombreux autres d’emploi, qui se sentent ainsi exclus parce que n’ayant ou ne comptant sur personne. Le phénomène est le même à la tête de plusieurs autres entreprises ou établissements publics, et la situation est à telle point qu’en septembre 2021, Robert Ekani président du parti politique dénommé le Front des démocrates camerounais, avait saisi le Conseil constitutionnel pour dénoncer ces directeurs généraux illégaux, même comme l’organe s’est déclarée incompétente à connaitre l’affaire. L’homme politique s’est par la suite promis de saisir le tribunal administratif et le Tribunal criminel spécial. Dans la rue de la capitale Yaoundé, un habitant avait à ce sujet confié à un journaliste correspondant de la Voix de l’Amérique : « Quand il y a une loi, il faut la respecter ou à défaut retirer la loi. Il y a beaucoup de Camerounais qualifiés qui sont au chômage et qui auraient pu occuper ces postes et faire mieux. »

Comment expliquer que le Tchad, pays qui n’est pas ouvert sur la mer et dont l’activité économique dépend en grande partie du Cameroun, soit à un salaire minimum plus relevé que celui du Cameroun, alors qu’en même temps, ces directeurs des entreprises et établissements publics dont certains sont oubliés au poste ont un traitement salarial qui pourrait payer 100 camerounais à 41 000 francs cfa

Indécence

Travail indécent, en plus des enfants

A côté de cette exclusion établie, contraire à l’inclusion gouvernementale, le thème de l’année fait également mention du travail décent. Difficile de le croire, quand on sait que c’est le 9 février 2023, 63 ans après l’indépendance du Cameroun oriental, que le gouvernement s’est accordé avec les syndicats pour que le salaire minimum interprofessionnel garanti passe à 41 875 francs cfa, contre 36 235 francs auparavant, soit une augmentation de 5 605 franc cfa. Rien n’a changé dans le fond avec cette mesure, au moment où l’Etat lui-même procédait à des augmentations de certains services à hauteur de 100% dans la loi des finances 2023. Et malgré cette hausse consensuelle du Smig, le Cameroun reste avant dernier dans la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale, juste devant la République centrafricaine (36000 Fcfa). Une réalité qui tranche avec son statut de « géant économique » de la sous-région avec un tissu industriel réputé diversifié. Les meilleurs taux de salaire minimum de l’espace Cemac sont de 128000 Fcfa pour la Guinée équatoriale, 90.000 Fcfa pour le Congo, 80.000 Fcfa pour le Gabon et 60.000 Fcfa pour le Tchad. Avec ces chiffres comparatifs, il est évident que le gouvernement camerounais qui aurait pu faire mieux pour les travailleurs n’a simplement pas de volonté. Comment expliquer que le Tchad, pays qui n’est pas ouvert sur la mer et dont l’activité économique dépend en grande partie du Cameroun, soit à un salaire minimum plus relevé que celui du Cameroun, alors qu’en même temps, ces directeurs des entreprises et établissements publics dont certains sont oubliés au poste ont un traitement salarial qui pourrait payer 100 camerounais à 41 000 francs cfa ? Sans compter que 85% des personnes actives au Cameroun sont inconnues par les services de la Caisse nationale de sécurité sociale, c’est-à-dire qu’elles se débrouillent dans l’informel, où personne ne contrôle ni les conditions de travail ni le salaire, Elles sont abandonnées à elles même et doivent se surpasser au quotidien, s’entasser comme du bétail dans des petites cellules abusivement appelés logements. Et c’est sur cette population que l’Etat prend de l’argent qui engraisse une poignée de privilégiés.  La journée internationale du travailleur est faite soit disant pour réclamer les droits des travailleurs, mais une question essentielle reste sans réponse au Cameroun, que fait l’Etat lui-même pour garantir ce travail d’abord, ensuite dans des conditions décentes, quand le ministre du travail lui-même affirmait qu’avec le précédent Smig de 36 235 francs cfa on peut vivre décemment au Cameroun. Chaque année des budgets sont votés pour le fonctionnement optimal des services, des rideaux des bureaux sont remplacés, les conditions de travail meilleures sont garanties  pour une poignée, laissant dans la rue et la misère les plus nombreux, à qui on demande de la résilience.

Roland TSAPI

Please follow and like us:
fb-share-icon
Tweet 20

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *